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Questions à Terry Grimoire, co-président de l’Association Pilon à La Réunion

Transmettre un message d’acceptation à travers des événements alliant festivité et traditions

26 octobre 2024, 21:00

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Transmettre un message d’acceptation à travers des événements alliant festivité et traditions

Terry Grimoire, co-président de l’Association Pilon à La Réunion.

Terry Grimoire, 30 ans, coprésident de l’Association Pilon, organisation réunionnaise, créée en 2021 pour favoriser l’acceptation des personnes LGBT+ auprès de leurs familles et de la société, était à Maurice avec quelques autres membres, la semaine dernière. Ils ont eu des échanges avec les membres de la Young Queer Alliance (YQA), du Collectif Arc-en-Ciel (CAEC) et de Out Moris. Comme le modus operandi de l’Association Pilon est de transmettre ses messages à travers des événements alliant festivité et traditions, elle et la Young Queer Alliance (YQA) ont organisé un pique-nique arc-en-ciel, dimanche dernier, sur la plage de Flic-en-Flac. L’express fait le point sur l’Association Pilon avec Terry Grimoire.

Depuis quand l’Association Pilon existe-t-elle ?

L’Association Pilon que je copréside avec Robin Rajaonarivelo, est née après la première Pride de 2021.

N’y avait-il pas d’autres Pride organisées antérieurement ?

Des associations LGBT+ avaient tenté de le faire mais elles n’ont pas réussi à mobiliser un grand nombre de personnes. Et comme elles avaient organisé la Pride à St Gilles, ville où il y a un grand nombre de Français, la population locale n’est pas venue. En 2021, la Pride, portée par une autre association réunionnaise, a été organisée à St Denis, chef-lieu de La Réunion et l’Association Pilon est née dans ce contexte. Près de 1 500 personnes ont, cette fois, répondu présent. Nous étions agréablement surpris.

L’homophobie est-elle présente à La Réunion ?

Elle est encore présente à La Réunion. Il y a encore des Réunionnais et de Réunionnaises LGBT+ qui ont quitté l’île et se sont expatriés pour pouvoir vivre leur vie. L’homophobie prend principalement la forme d’insultes à l’école, dans la rue, non seulement envers les personnes LGBT+ mais aussi envers leurs parents, qui peuvent être mal vus. Par conséquent, certains parents qui le vivent mal, essaient de convertir leur enfant LGBT+ à l’hétérosexualité. Plusieurs personnes LGBT+ auraient préféré être hétérosexuelles mais elles n’y peuvent rien car elles sont nées ainsi.

Pourquoi avoir choisi l’appellation Association Pilon ?

Pilon a plusieurs significations à La Réunion. A la base, c’est l’outil utilisé pour écraser les épices dans un mortier. Le pilon représente la culture réunionnaise car c’est une tradition d’offrir un pilon aux couples qui vont se marier. Nous avons choisi cette appellation pour montrer aux gens que les personnes LGBT+ sont aussi réunionnaises car il y a un discours voulant faire croire que les personnes LGBT+ viennent de l’étranger et pas de chez nous. Sachant également qu’à Maurice et aux Seychelles, le mot pilon a une connotation négative, en signe de solidarité envers les Mauriciens et les Seychellois LGBT+, nous avons opté pour l’appellation Association Pilon. De cette façon, nous voulons dire que nous sommes fiers d’être des pilons et que nous n’avons pas honte de qui nous sommes.

Quels les objectifs de l’association ?

Nous voulons faire en sorte que les familles réunionnaises arrêtent de rejeter leurs enfants LGBT+. Nous prenons toutes les traditions réunionnaises que nous ajustons au contexte LGBT+ pour garder la famille soudée. Nous avons fait ce choix car nous avons remarqué que lorsque les personnes LGBT+ sont rejetées par leurs familles, elles ont tendance à perdre leurs traditions. Nous organisons des événements où tout le monde est bienvenu et nous précisons que cela inclus des pères et des mères de familles d’enfants LGBT+, la fratrie, les tontons, les tatas, les grands-mères etc. Quand nous organisons ces événements, les personnes LGBT+ retrouvent les traditions et le contexte familial qu’elles ont perdu. Nous avons organisé notre premier pique-nique arc-en-ciel en 2023 car avant, nous avions été impactés par la pandémie du Covid-19. Si nous avons opté pour un pique-nique c’est parce que c’est une tradition à La Réunion. Le dimanche, presque toutes les familles vont faire un tour de l’île et pique-niquer sur la plage ou sur une aire de pique-nique dédiée. Ce premier pique-nique arc-en-ciel ciblant les familles a eu lieu sur l’aire de pique-nique à St Paul et a attiré 70 personnes. C’est un succès car l’idée n’était pas de faire un rassemblement monstre mais un pique-nique avec les familles et plus particulièrement avec les mamans, qui sont généralement, les premiers soutiens de leur enfant LGBT+. Nous avons aussi organisé un Ball, soit un spectacle culturel où plusieurs houses (NdlR : Historiquement, une maison d’accueil pour les jeunes LGBT+ rejetés par leurs familles et tenue par une personne LGBT+ plus âgée qui leur sert de parent de substitution) viennent danser et s’affronter en battles. Rosemay Ephrem, la Miss Mamie de St Denis, avait été invitée comme jury. Le message que nous voulions transmettre ce jour-là est que l’on peut être une mamie, avoir un certain âge et malgré tout accepter les personnes telles qu’elles sont. Miss Mamie est venue et a d’ailleurs accepté d’être la marraine de l’Association Pilon.

Cette année, nous avons fait un deuxième pique-nique à St André. Là encore, nous étions 70 et nous avons mis en avant la culture réunionnaise à travers des danses. Nous avons aussi organisé un Brunch des Mamans à l’occasion de la Fête des Mères car nous avons noté que même si la maman accepte son enfant quand il fait son coming out, le dialogue est quelque part rompu ou est différent. Faire ce brunch était une façon de permettre aux mamans de mieux comprendre leur enfant LGBT+. Nous essayons de toujours garder un côté familial et festif à nos activités car nous pensons que le message d’acceptation passe mieux ainsi. Au cours du brunch, il y avait un spectacle de Drag Queens et celles-ci ont appris aux mamans comment claquer leurs éventails. On leur a aussi montré le voguing, danse inspirée des poses de mannequins qui vient de la culture LGBT des années 20. On leur a expliqué l’histoire des personnes LGBT+ de l’époque, la culture LGBT+ et tout ce qui vient avec. Nous avons aussi organisé une Conférence des Mamans à l’université de La Réunion où nous avons donné la parole aux mamans pour qu’elles expriment leur ressenti d’avoir un enfant LGBT+. Nous avons rarement l’occasion de les entendre sur le sujet. Une maman d’enfant transgenre nous a fait réaliser qu’avoir un enfant transgenre pour elle est comme avoir à faire un processus de deuil. La maman a porté un enfant d’un certain sexe dans son ventre et au final, elle doit dire au revoir à une fille ou un garçon qu’elle a enfanté pour accueillir un enfant qui change de genre et même de nom. Cette maman a exprimé sa souffrance, sa difficulté d’acceptation. Pour nous, il était important de voir comment les parents le vivent. Sur quatre mamans, qui se sont exprimées ce jour-là, trois ont dit avoir puisé, dans leur foi, la force d’accepter leur enfant car l’amour prime sur toutes les autres considérations. Pour la quatrième maman, la situation était différente car elle est lesbienne. Nous avons aussi organisé, cette année, un Tour de l’Île arc-en-ciel en car jaune de 60 places, qui est le transport en commun de la Région Réunion et nous l’avons habillé du drapeau LGBT. Nous avons fait plusieurs arrêts, ce qui est également traditionnel de La Réunion. Quand nous faisons le tour de l’île le dimanche, nous nous arrêtons dans plusieurs endroits. C’est une autre façon de dire aux Réunionnais d’arrêter de nous rejeter car nous gardons nos traditions. Dans chacune de nos activités, nous dansons le séga et le maloya pour montrer notre attachement à notre culture et à nos traditions. Nous avons aussi organisé une Rainbow party à l’université, soit une soirée étudiante avec un spectacle de séga, maloya et d’autres types de danses, qui a attiré près de 600 personnes. C’était très festif. C’est ainsi que nous envoyons notre message d’acceptation et de tolérance. Nous avons aussi organisé dans cette même université un village associatif regroupant les associations militantes pour les personnes LGBT+. Comme un de nos objectifs est aussi de travailler avec les organisations similaires dans les îles de l’océan Indien - nos populations ont pratiquement les mêmes pays de peuplement et la musique et notamment le séga, nous unit -, notre coprésident qui est Malgache, a organisé une soirée festive à Madagascar. Cette soirée a réuni une cinquantaine de personnes.

Comment financez-vous vos activités ?

On le fait à travers des partenariats commerciaux. Ensuite, pendant nos Pride, nous vendons des accessoires arc-en-ciel comme des éventails et des drapeaux. Certaines de nos activités sont payantes. Nous avons fait des demandes de subventions auprès de la Région Réunion et la ville de St Denis. Nous attendons une réponse. En matière de prévention, nous avons aussi fait fabriquer des piluliers miniatures pour les personnes séropositives et pour celles qui suivent une prophylaxie de préexposition. Les piluliers donnés dans les hôpitaux sont trop grands et peu pratiques. Les nôtres sont discrets et pratiques. Nous en avons offert et les personnes concernées disent que ça change la vie. Nous en ferons d’autres que nous distribuerons, chaque année, aux centres hospitaliers universitaires.

Quel a été le but de votre séjour à Maurice ?

Avant de venir, nous avons contacté la YQA et le CAEC et avons décidé de faire une activité commune, soit un pique-nique arc-en-ciel à Flic-en-Flac. C’était un bring and share. Nous étions une quarantaine de personnes LGBT+ et nous avions loué un autobus. Nous avions emmené le drapeau arc-en-ciel sur lequel nous avons pique-niqué et les gens sur la plage publique nous ont regardés comme ils auraient regardé n’importe qui et ils ont fait leur vie. Nous avons passé un très bon moment. Les membres de l’Association Pilon veulent revenir et faire d’autres activités communes et festives avec les organisations mauriciennes. Nous voulons aussi échanger sur notre fonctionnement et sur nos meilleures pratiques. C’est important de se dire que nous ne sommes pas seuls dans cette lutte pour l’acceptation des personnes LGBT+.

A quoi mesurez-vous l’impact de vos activités sur votre public cible ?

Par le retour des personnes qui y viennent. Quand une maman déclare qu’elle viendra marcher avec nous lors de la prochaine Pride, c’est un signe. Quand une maman dit à son fils LGBT+ qu’elle veut renouer le dialogue avec lui, cela en est un autre. Quand des mamans déclarent qu’elles veulent devenir membres de l’Association Pilon, nous réalisons que nous sommes sur la bonne voie. Et quand des papas se mettent debout à la Conférence des Mamans pour dire qu’ils veulent eux aussi soutenir leur enfant et qu’ils veulent d’une Conférence pour les Papas, c’est signe que notre message passe.