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Un continent anti-sectaire émerge

3 septembre 2024, 15:50

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Depuis juin, le Kenya est secoué par des manifestations de rue massives, déclenchées par une opposition réunifiée contre le projet de loi des finances (Finance Bill 2024) du président William Ruto – qui proposait des hausses d’impôts drastiques sur des produits de première nécessité comme le pain et l’huile de cuisson.

Pour de nombreux Kényans, en particulier les jeunes, ce projet de loi aura été la goutte de trop dans un contexte économique déjà difficile. L’inflation élevée et le chômage avaient rendu la vie quotidienne insupportable et les nouvelles taxes promettaient d’aggraver encore la situation. Malgré une répression brutale par les forces de l’ordre, qui a fait plus de 50 morts et des dizaines de disparus, les manifestants ont obtenu gain de cause, forçant Ruto à retirer le projet de loi en moins de deux jours.

Les manifestations, largement menées par des jeunes, indépendamment de leurs castes ou tribus, dont beaucoup manifestaient pour la première fois, révèlent une insatisfaction plus profonde et plus large qui résonne, dans une large mesure, à travers toute l’Afrique.

Cette nouvelle vague d’activisme se distingue nettement des mouvements précédents au Kenya, souvent caractérisés par des affiliations tribales. Au lieu de cela, les jeunes se sont unis au-delà des lignes ethniques, réunis par des griefs communs concernant la mauvaise gestion économique, la corruption et le manque d’opportunités. Ils ont refusé de procéder par rassemblements sectaires, préférant viser plus large et moins étriqué (contrairement à ce que certains auraient tendance à le faire chez nous !).

L’élection du président Ruto en 2022 avait été soutenue par des promesses de réduire le coût de la vie et de soutenir les soi-disant «hustlers» – des travailleurs acharnés de l’économie informelle. Cependant, une fois en poste, Ruto a supprimé les subventions sur les denrées alimentaires, le carburant et l’électricité, entraînant une augmentation brutale des coûts pour les Kényans ordinaires. Le projet de loi de finances, qui comprenait une taxe de 16 % sur le pain et une taxe de 25 % sur l’huile de cuisson, a été perçu comme une autre trahison de la part d’une élite politique jugée déconnectée des réalités du peuple.

L’importance de ces manifestations dépasse les frontières du Kenya.

Au Nigeria, le souvenir du mouvement #EndSARS, où les jeunes étaient descendus dans la rue pour protester contre les violences policières et la corruption gouvernementale, reste vif. Les manifestations kényanes ont ravivé les discussions parmi la jeunesse nigériane, qui continue de faire face à des problèmes similaires, notamment les difficultés économiques et la négligence gouvernementale. Un sentiment croissant de solidarité se fait jour parmi les jeunes à travers l’Afrique, qui voient leurs luttes comme interdépendantes et qui estiment que leurs gouvernements ne répondent pas à leurs besoins.

Les dirigeants africains commencent à prendre note de ces événements, souvent avec inquiétude plutôt qu’avec soutien. Dans certains pays, des mises en garde ont été émises contre la propagation de telles manifestations, les gouvernements craignant que ces mouvements ne déstabilisent leurs propres systèmes politiques. Cependant, les réponses répressives aux manifestations pacifiques, comme celles observées au Kenya, tendent souvent à aggraver la situation plutôt qu’à l’apaiser.

Les frustrations de la jeunesse africaine sont amplifiées par un système politique qui semble souvent insensible à leurs besoins. Dans de nombreux pays, les jeunes représentent une part importante de la population, mais ils sont sous-représentés dans les processus décisionnels politiques. Ce décalage a alimenté un sentiment de marginalisation, conduisant les jeunes à manifester comme l’un des rares moyens d’exprimer leurs revendications.

Les manifestations kényanes ont confirmé, s’il le fallait, que les plateformes numériques peuvent être des outils puissants pour la mobilisation. Les médias sociaux ont joué un rôle crucial dans l’organisation de ces manifestations, permettant aux jeunes de coordonner et de partager rapidement des informations, malgré les efforts de certains gouvernements pour étouffer leurs voix par des coupures d’internet et la répression des médias.

À mesure que ces mouvements se développent, il existe un potentiel pour une nouvelle vague d’activisme politique à travers l’Afrique, qui transcende la politique tribale et se concentre sur les problèmes qui touchent tous les citoyens, en particulier les jeunes. Cependant, pour que ce potentiel soit réalisé, les gouvernements devront sérieusement engager un dialogue avec leurs jeunes populations, en répondant à leurs préoccupations plutôt qu’en les ignorant ou en répondant par la force ou le mépris («Pa fer mwa trangle ou», «si li devan mwa, mo bez li de klak»).

La situation au Kenya est le reflet des défis plus larges auxquels l’Afrique est confrontée. À mesure que les mouvements dirigés par les jeunes continuent de prendre de l’ampleur, les dirigeants du continent devront repenser leurs approches en matière de gouvernance et de gestion économique. S’ils ne le font pas, ils risquent de se retrouver face à une opposition plus unie et déterminée, qui pourrait remode- ler le paysage politique du continent…