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Noces d’or de Shirin et de Claude Cziffra
Un couple solaire
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Noces d’or de Shirin et de Claude Cziffra
Un couple solaire
Le mois de juillet a une résonance particulière pour Shirin et Claude Cziffra. Tout d’abord parce qu’ils se sont mariés civilement, il y a 50 ans, le 9 juillet et la cérémonie familiale a eu lieu le 14 juillet, sans savoir que leur couple connaîtrait des secousses mais vivrait aussi une série de situations plutôt exceptionnelles. C’est aussi au mois de juillet que Shirin a prêté serment comme avocate, métier qu’elle a exercé pendant 26 ans entre les différents postes publics qu’elle a occupés. L’occasion était trop belle pour ne pas les faire se raconter.
La première rencontre entre Shirin Aumeeruddy et Claude Cziffra remonte à octobre 1973. Shirin, qui avait complété ses études de droit à Londres tenait à aller à Paris. Si elle a choisi de se spécialiser en droit, c’est parce qu’enfant, elle était fascinée par un oncle maternel qui était magistrat, puis juge. Il s’agissait de Sir Raman Osman, qui fut le premier gouverneur général de Maurice. «Son plus jeune frère, Hossen, était avoué et recevait souvent des clients sous un kiosque, dans le jardin de ma grand-mère, chez qui j’habitais. Il m’a beaucoup parlé de la justice.»
Claude était à l’époque déjà détenteur d’une licence ès lettres-anglais obtenue auprès de l’université de Paris 3 et d’un certificat d’études économiques du Conservatoire national des arts et métiers. «Même si j’étais déjà avocate, je ne voulais pas rentrer à Maurice. Je sentais un besoin urgent d’aller à Paris et je me suis inscrite à l’université de Paris 1 (Sorbonne-Panthéon) pour un doctorat en droit comparé. Mais c’est visiblement l’amour que je cherchais...», indique Shirin. Et elle allait le trouver.
Elle précise que ce n’était pas un coup de foudre comme dans les films. «En fait, j’avais rencontré Robert, un ami de Claude, à l’Institut franco-britannique où les Français venaient pour améliorer leur anglais et les anglophones pour pratiquer leur français. Moi, j’étais bilingue et j’ai sympathisé avec cet ami, qui se préparait à enseigner l’anglais. Un jour, il a donné rendez-vous à Claude au café ‘Le Saint Séverin’, dans le quartier latin. Nous l’avons longtemps attendu et comme il ne venait toujours pas, nous avons fini par nous en aller. En descendant la rue Saint-Séverin, nous avons croisé cet homme qui portait un grand manteau gris avec une belle écharpe blanche. Il nous avait attendus dans un autre établissement du même nom.»
Cette photo apparaît sur les murs de l'Attorney General's Office. Shirin est la seule femme à avoir occupé ce poste jusqu'ici.
L’amitié d’abord
La première impression que Claude a de Shirin est qu’elle est peut-être Japonaise. «Cette petite Asiatique aux cheveux très noirs et très courts qui parlait un anglais parfait m’a d’abord fait penser à une Japonaise.» Presque immédiatement, ils sortent en amis à trois. Ils vont assister à des concerts, à des rencontres culturelles et même à des événements politiques. «C’est à la fête d’un parti de gauche que nous avons pu écouter Graeme Allwright avant de le revoir à Maurice. Par la suite, une jeune femme avait invité Claude et Robert à son anniversaire, mais pas moi. Seul Robert y est allé. C’est là que Claude et moi avons réalisé combien on était heureux d’être ensemble à deux.» Shirin est séduite par «son incroyable authenticité, sa douceur, et surtout le fait qu’il est le seul être que je connaisse qui a un sens de la liberté aussi prononcé. La première fois qu’il a osé s’exprimer, il a mis sa main sous la mienne alors que la plupart des hommes auraient fait le contraire. Je lui ai demandé plus tard de m’expliquer son geste et il m’a dit que c’était pour me laisser entièrement libre de retirer ma main s’il ne me plaisait pas. Et depuis, on vit une relation fondée sur cette liberté pour l’un comme pour l’autre. Aucun contrôle, aucune agressivité. Sauf quand il est au volant. Là, c’est quasiment un autre homme. Et à sa demande, je me mets toujours sur la banquette arrière pour le laisser conduire comme il l’entend.» Du côté de Claude, ce qu’il apprécie chez Shirin c’est «sa spontanéité et sa soif de découverte.»
En septembre 1974 avec feu le magistrat Ip Tong et des avocats.
Tempéraments opposés
Et pourtant vu de l’extérieur, ils ont deux tempéraments différents et qui paraissent opposés. Peut-on dire que les contrastes s’attirent ? «C’est vrai que nous sommes très différents si on en juge par notre culture et la façon dont s’est déroulée notre enfance. Mais je crois que nous rêvions de la même chose. Claude habitait Paris et projetait d’aller vivre dans le Sud. Moi, autant j’ai aimé Londres dans les années 1970, autant j’étais attirée par Paris. Mais je ne crois pas que j’aurais pu vivre avec un autre Français. Nos différences nous ont enrichis.»
Ils sortent ensemble pendant neuf mois. Ils se sentent si bien ensemble qu’ils ne conçoivent pas l’idée de vivre l’un sans l’autre. Le mariage n’est toutefois pas une de leurs priorités. «Mais je n’avais pas de visa pour rester en France et je devais faire un aller-retour tous les trois mois entre Londres et Paris. On a donc envisagé d’aller à Maurice et de s’y marier.» C’est le 14 juillet 1974, «une date choisie par mon père car c’était un dimanche», raconte Shirin, au Sunray Hotel à Coromandel qu’elle et Claude lient leurs destinées. Mais ce n’était pas encore clair dans leurs têtes s’ils allaient s’établir à Maurice ou non. «On avait pris des billets d’avion aller-retour. Mais d’abord, Claude a été accueilli à bras ouverts par ma très nombreuse famille. Et j’étais quand même attirée par la profession d’avocat. Mon père m’a beaucoup aidée à m’installer.»
Shirin, Ariana et Claude.
S’insérer dans la société mauricienne lorsque l’on est un couple mixte à l’époque n’était pas chose aisée. «Nous faisions partie des quelques couples dits ‘mixtes’ qui vivaient à Maurice. À cette époque-là, il y avait des épouses étrangères, mais pratiquement pas d’époux étrangers. Sur le plan personnel et familial, on a trouvé une bonne manière de favoriser notre intégration.»
Lorsque Shirin commence à s’engager dans la politique, Claude avoue avoir été surpris. «Quand c’est arrivé, je ne m’y attendais pas. À Paris, elle m’avait dit que pendant ses études de droit anglais, ses professeurs n’avaient jamais parlé de la vie politique. J’ai donc comblé cette lacune, notamment en lui expliquant la différence entre la droite et la gauche. Mais pour moi, c’était uniquement de la théorie et elle m’a fait la surprise de passer de la parole aux actes.»
Tracasseries administratives
Si cela ne le dérange pas, l’engagement politique de Shirin au sein du Mouvement militant mauricien qui est dans l’opposition, lui cause des tracasseries administratives politiquement motivées dès 1977, d’abord pour qu’il obtienne un permis de travail et ensuite pour le renouveler. «Après il y a eu ces lois arbitraires et sexistes qui ont fait que Claude ait été privé de son statut de résident entre 1977 et 1982 alors qu’en 1974, les conjoints étrangers avaient automatiquement le statut de résident.» Les Cziffra étant de nature combative, eux et 19 femmes envoient la première communication fondée sur le non-respect du Pacte international des droits civils et politiques à la commission des droits humains de l’Organisation des Nations Unies. Claude est obligé de se sacrifier et rester au chômage pendant cinq ans. Il profite de ce temps pour compléter ses études supérieures et obtenir une licence et une maîtrise en lettres modernes auprès de l’université de La Réunion et un diplôme d’études approfondies en ethnolinguistique auprès de l’université d’Aix-Marseille. «Nous avons eu gain de cause quatre ans plus tard.»
En 1982, Shirin est surprise d’être nommée Attorney General alors qu’elle avait été Shadow Minister des droits de la femme de 1976 à 1981 quand son parti était dans l’opposition. On lui a proposé de cumuler les deux ministères. Chacun sait le rôle prépondérant qu’elle a joué en faveur des femmes, même quand elle était dans l’opposition. Une de ses grandes fiertés a été d’avoir fait amender la Constitution pour que ce soit quasiment impossible de renvoyer les élections générales, ce qui avait été le cas pendant la période de l’état d’urgence. «Vu que nous avions gagné tous les sièges (60/0), on aurait pu avoir davantage changé la Constitution mais nous avons été prudents. Je tiens à ajouter qu’en tant qu’Attorney General, j’ai eu l’honneur d’amender ces lois rétrogrades, le 8 mars 1983, à un moment où Claude n’était plus concerné car entre-temps, il avait obtenu la nationalité mauricienne.»
Cet intellectuel a soutenu «discrètement mais concrètement» sa famille pendant que Shirin était députée, conseillère municipale et maire des villes soeurs. «Sans son appui et son amour inconditionnel, je n’aurai pas pu m’engager 15 ans en politique», dit Shirin.
Le couple a eu deux enfants, Ariana et Micha. Ils considèrent ces naissances comme le plus beau moment de leurs vies. Mener de front carrière, vie politique et vie de famille n’est pas de tout repos et requiert des sacrifices. «Oui forcément. Les femmes ne peuvent pas travailler et surtout s’engager en politique sans que leur vie familiale n’en soit affectée. Le fait que Claude ne pouvait pas travailler a quelque part permis aux enfants de bénéficier de sa disponibilité. Nous avions aussi la famille élargie et même une nounou. Mais Claude a joué un rôle prépondérant notamment dans l’éducation des enfants.»
Claude, Micha et Shirin.
Leurs enfants sont des adultes installés aujourd’hui. Ariana qui a étudié à Londres comme sa mère, est psychanalyste et artiste depuis plus de 20 ans. «Elle manie aussi bien le pinceau que la plume, partageant avec son père et son frère le symptôme de la traduction et une passion pour les langues. Plus littéraire qu’eux, elle poétise avec un style et une verve bien à elle», explique Shirin. Micha, qui a étudié en France et en Espagne, manie aussi plusieurs langues, soit le français, l’anglais, l’espagnol et le Kreol Morisien, est expert traducteur auprès de la Cour d’appel de Montpellier et traducteur interprète. «Il vit en Corrèze depuis 11 ans avec sa petite famille.» Shirin et Claude ont une petite-enfant, Paloma, fille de Micha, âgée de 11 ans. «Elle est très portée, elle aussi, sur la peinture, le dessin et les langues. Comme nous tous, elle chante beaucoup. Delo swiv kanal, a dit à son sujet notre ami Jean Claude de l’Estrac», raconte Shirin.
Défenseuse des droits humains
Jetant un regard sur sa carrière d’avocate qui a commencé lorsqu’elle a prêté serment le 11 juillet 1974, elle n’a pas oublié sa première affaire. «Il me semble que c’était au tribunal de Mahébourg où j’étais allée pour remplacer sir Hamid Moollan. Là-bas, un jeune homme avec des menottes m’a demandé de paraître pour lui. Il m’a donné l’adresse de ses parents, qui avaient les moyens de me payer. Mais sa famille a refusé de l’aider à sortir de prison alors qu’il était en détention provisoire. C’était un premier petit choc pour moi.» Une carrière avec en ligne de mire la défense des droits humains. «Il faut le droit pour garantir les droits. Je suis éprise de justice mais celle-ci n’est malheureusement pas toujours accessible.»
Actuellement rattachée au cabinet Dentons, elle constate que les jeunes, qui ont souvent moins de 30 ans, sont des professionnels de grande qualité. «J’aime beaucoup travailler avec eux. J’apprécie aussi le respect de l’éthique et des valeurs positives de notre groupe. En revanche je trouve dommage que la justice soit encore très lente, malgré tous les efforts pour plus de magistrats, de juges et d’espace.» Si elle avait un conseil à donner aux jeunes avocats, c’est de respecter la partie adverse. «Cela me paraît indispensable. Il faut être ferme sans être agressif.»
Au cours de ces 50 dernières années, Shirin a occupé des postes prestigieux. Ce qui a souvent fait Claude dire, pince sans rire : «Je suis le prince consort mais qu’on ne sort pas.» Par exemple, quand Shirin était ambassadeur à Paris, elle était invitée à l’Hôtel de Ville de Paris alors que Jacques Chirac y était maire. Le protocole a placé Claude du côté des ambassadeurs et il a protesté. S’en est suivi un musical chair et là Claude a décrété qu’il ne pouvait pas s’asseoir puisque c’est écrit ‘épouse’. Dès ce moment, le couple Cziffra s’est fait remarquer. Shirin a aussi contribué à la médiatisation de Maurice car à l’époque, elle cumulait non seulement le poste d’ambassadeur mais aussi celui de présidente du conseil permanent de la Francophonie. «Notre pays était alors très médiatisé dans le contexte du cinquième sommet de la Francophonie qui s’est tenu en octobre 1993 à Grand-Baie.»
Claude a longtemps travaillé à La Sentinelle Ltd, d’abord comme premier secrétaire de rédaction de l’express, ensuite comme coordonnateur d’Expresso, le magazine dominical de l’express. Il a aussi été chroniqueur à Radio One, son «Mot du jour», reproduit dans l’express, faisant mouche «non seulement auprès des intellectuels ou des bourgeois francophones, mais aussi auprès de la classe ouvrière».
Appelés à dire quelle tempête ils ont essuyée au cours de cette traversée commune, Shirin évoque les interventions cardiaques de Claude. «Il y a plus de 25 ans, nous avons eu la chance d’être dirigés vers un excellent chirurgien qui était rentré depuis peu à Maurice. Il a opéré Claude une première fois pour remplacer une valve et l’a suivi pendant une douzaine d’années avant de remplacer la deuxième valve. Grâce à lui, Claude a aujourd’hui un coeur ‘remis à neuf’», souligne Shirin.
La qualité qu’ils apprécient le plus l’un chez l’autre et ce qui les horripile le plus chez leur conjoint ? Claude avoue aimer le désir d’entraide des autres permanent chez Shirin. «Elle veut toujours aider les gens qui viennent vers elle, c’est une grande qualité. Mais parfois, elle fait confiance à des personnes qui ne le méritent pas.» De son côté, Shirin apprécie la patience et le calme de Claude «que certains prennent, à tort, pour de la mollesse. Un jour quelqu’un me débitait une ânerie lors d’une réception diplomatique et Claude ne disait rien alors que j’essayais en vain de faire entendre raison à cet invité. Claude m’a alors dit : ‘Il n’y a pas de plaisir plus subtil que de passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile.’ Depuis, j’essaie beaucoup plus rarement de raisonner certaines personnes, sauf au tribunal lors des procès car là, c’est mon métier de défendre les points de vue de mes clients.» C’est au cocktail offert par l’ambassade de France qu’ils fêteront leurs noces d’or. «On le fait chaque année en même temps que la fête nationale organisée par l’ambassade de France.»
Que peut-on espérer en tant que couple après 50 ans de mariage ? «À vivre encore un peu de temps en bonne santé ensemble.» L’un comme l’autre hésite à donner des conseils aux jeunes couples. «Il est très difficile de donner des conseils dans ce domaine alors que ma matière première en tant qu’avocate, ce sont les divorces et les procès assez complexes pour la garde des enfants, ainsi que les droits d’accès. Je dirais peut-être que le mieux est d’épouser quelqu’un qui est avant tout un ami…»
Paloma et Claude.
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