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«Financial Crimes Commission Bill»
Un défi constitutionnel en perspective
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«Financial Crimes Commission Bill»
Un défi constitutionnel en perspective
Mᵉ Sanjay Bhuckory estime que certains éléments de cette loi pourraient représenter des points sensibles lors de l’évaluation de sa constitutionnalité.
Le projet de loi sur la Financial Crimes Commission (FCC), qui doit être présenté à l’Assemblée nationale avant les vacances, suscite des inquiétudes majeures sur son indépendance future et la modification des pouvoirs de poursuite. La possibilité de contester ce projet de loi avant son adoption est limitée. Bien que l’injonction puisse être utilisée dans des circonstances exceptionnelles, il semble que ce ne soit pas une option viable dans ce cas. Mᵉ Sanjay Bhuckory, Senior Counsel, est d’avis que certains aspects de cette loi – tels que la nomination de son directeur général par l’exécutif et la restriction du Directeur des poursuites publiques (DPP) d’intenter des poursuites alors que ces pouvoirs lui sont conférés par la Constitution – pourraient constituer des points sensibles dans l’évaluation de la constitutionnalité de la loi.
Le but de la FCC est de regrouper les compétences de l’Independent Commission against Corruption (ICAC), de l’lntegrity Reporting Services Authority (IRSA) et de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) sous une seule entité. Cependant, l’équilibre entre renforcer la lutte contre les crimes financiers et garantir les droits constitutionnels doit être minutieusement examiné pour éviter toute dérive potentielle. La question de la constitutionnalité d’une loi dépend de nombreux facteurs, y compris la manière dont elle est rédigée et la façon dont elle interagit avec la Constitution. La constitutionnalité d’une loi peut être contestée en Cour suprême et c’est souvent le rôle des juges de déterminer si une loi respecte les dispositions de loi suprême. Si la loi en question est jugée incompatible à la Constitution, elle peut être déclarée inconstitutionnelle, en tout ou en partie. Cela signifierait généralement que certaines dispositions de la loi doivent être modifiées ou annulées.
Séparation des pouvoirs
Mᵉ Bhuckory souligne que la loi pourrait être sujette à plusieurs contestations constitutionnelles. La nomination du directeur général par l’exécutif, dit-il, pourrait être considérée comme contraire à la Constitution car elle remet en question l’indépendance de cette instance. De plus, le partage des pouvoirs de poursuite avec la FCC pourrait soulever des questions sur l’exclusivité actuelle du DPP en matière de poursuites. Le risque d’abus lié à la concentration excessive des pouvoirs entre les mains d’une seule personne est également pointé du doigt par le Senior Counsel. «Cela pourrait être contre des principes fondamentaux de séparation des pouvoirs car le Premier ministre reste, au final, la personne qui dirigera la Financial Crimes Commission.» La nécessité de changer le système actuel, dit-il, soulève des interrogations légitimes. «Quels sont les problèmes du système actuel qui justifient un tel changement ? Est-ce parce que le DPP est trop indépendant ?», se demande Mᵉ Bhuckory.
Article 72 de la Constitution
Un aspect particulièrement préoccupant du projet de loi est l’article 142, qui concerne les pouvoirs de poursuite de cette commission. Contrairement à la procédure actuelle où l’ICAC doit obtenir l’aval du DPP avant d’engager des poursuites, la FCC pourrait, après avoir mené ses propres enquêtes, décider de loger des accusations sans passer par le DPP. Le Senior Counsel pense que cet article de la loi peut être anticonstitutionnel, d’autant plus que l’article 72 de la Constitution donne le pouvoir exclusif en matière de poursuites au DPP. D’ailleurs, une plainte constitutionnelle autour des pouvoirs du DPP et ceux du commissaire de police est en examen devant la Cour suprême.
«Cette modification», souligne Mᵉ Bhuckory, «pourrait potentiellement contourner le processus judiciaire établi. La prise en charge ou la continuité d’une affaire par le DPP dans laquelle il n’a pas été initialement impliqué pose des défis particuliers. Si la charge n’a pas été correctement engagée dès le départ, le DPP peut se retrouver dans la situation délicate de devoir recommencer le processus. Ceci, en retour, risque de générer des retards significatifs dans l’administration de la justice. Les retards résultant de la nécessité de corriger des erreurs préalables peuvent également influencer la perception de l’efficacité et de l’équité du système judiciaire.»
L’avocat fait ainsi ressortir : «La FCC ne serait pas tenue de communiquer le dossier au DPP avant la fin des investigations. Contrairement aux pratiques actuelles où la police doit partager le dossier avec le DPP, la FCC pourrait contourner cette obligation, posant ainsi des questions sur la légitimité du processus.» La question de savoir si seul le DPP est habilité à engager des poursuites pourrait entraîner des contestations constitutionnelles, remettant en cause la validité de la FCC. Cependant, il est important de noter que la question de la constitutionnalité est souvent complexe, et peut varier en fonction de l’interprétation des juges et des spécificités du système juridique en place. La complexité de la question découle en grande partie de l’interprétation subjective des juges, qui sont appelés à évaluer la conformité des lois et des décisions gouvernementales aux principes constitutionnels.
Lorsque les lois ne font pas la loi…
Depuis que le Financial Crimes Commission Bill a été annoncé, il y a eu une levée de boucliers de toutes parts : la classe politique, les juristes et la société civile. La question qui revient souvent est : cette loi est-elle constitutionnelle quand elle enlève les pouvoirs du DPP de décider si un suspect sera poursuivi ou pas ? Ce ne sera pas la première fois qu’un gouvernement votera une loi qui empiète sur la séparation des pouvoirs entre les organes de l’État. Retour sur l’une des affaires les plus connues… Toutes les instances judiciaires s’étaient accordées sur le sujet.
La saga «Dangerous Drugs Act»
L’affaire avait commencé avec l’arrestation d’Abdool Raschid Khoyratty, le 27 octobre 2003, pour possession de trois grammes d’héroïne destinés à la vente, en infraction à la Dangerous Drugs Act (DDA). Sa libération sous caution avait été rejetée sous la clause 5(3A) de la Constitution et l’article 32 de la DDA, qui interdisaient la libération sous caution dans certaines affaires liées aux drogues. Cette affaire avait mis en lumière l’inconsistance constitutionnelle de telles lois avec le concept de la séparation des pouvoirs. À la suite de l’arrestation du suspect, ses avocats avaient contesté la constitutionnalité d’une telle provision de la loi.
La Cour suprême avait été confrontée à plusieurs questions constitutionnelles, notamment l’ajout de la clause 5(3A) à la Constitution, qui interdisait la libération sous caution pour certaines infractions liées aux drogues et au terrorisme, et enfreignait le principe de la séparation des pouvoirs, un élément clé de la démocratie, en enlevant au judiciaire le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser la libération sous caution. Les juges Bernard Sik Yuen et Paul Lam Shang Leen avaient souligné que la décision de libérer sous caution était intrinsèquement une fonction judiciaire et que toute intrusion du législatif dans cette fonction allait à l’encontre des principes démocratiques.
Par ailleurs, il avait aussi été question de la proportionnalité, en relation avec l’article 7 de la Constitution qui protège des traitements inhumains ou dégradants. Il avait été jugé que la restriction imposée par la clause 5(3A) n’était pas proportionnelle et violait donc les droits fondamentaux des individus. En conséquence, la Cour suprême avait déclaré l’article 32 de la DDA et la clause 5(3A) de la Constitution caducs par rapport aux infractions liées aux drogues car elles violaient les articles 1 et 7 de la Constitution.
Un amendement de la Constitution…
L’État avait fait appel de cette décision de la Cour suprême au Conseil privé. Ces principes avaient été réaffirmés. Les Law Lords étaient revenus sur l’historique des amendements successifs à la DDA depuis 1986 (voir plus loin) et avaient souligné qu’en 1994, la Constitution avait été amendée pour permettre le déni de caution, mais que malgré l’adoption légale de cet amendement, il violait la structure fondamentale de la Constitution mauricienne. Le Conseil privé est jugé que la séparation des pouvoirs était une caractéristique essentielle d’un État démocratique, et que l’amendement et la loi correspondante empiétaient sur cette séparation, rendant l’amendement constitutionnel et l’article relevant de la DDA anticonstitutionnels.
Chronologie de l’affaire
1986
La DDA est adoptée par l’Assemblée nationale. Elle interdit la libération sous caution pour certains délits liés aux drogues. n Début des années 1990 La Cour suprême déclare certaines parties de cette loi inconstitutionnelles car elle empiète sur le pouvoir judiciaire en violation de la séparation des pouvoirs.
Début des années 1990
La Cour suprême déclare certaines parties de cette loi inconstitutionnelles car elle empiète sur le pouvoir judiciaire en violation de la séparation des pouvoirs.
1994
En réponse au jugement de la Cour suprême, l’Assemblée nationale adopte un amendement à la Constitution en introduisant la clause 5(3A). Cet amendement permet de prescrire des cas où la caution ne peut être accordée pour des délits liés aux drogues.
2000
La DDA est réadoptée en spécifiant les délits pour lesquels la caution serait refusée, conformément à l’amendement constitutionnel de 1994.
2002
L’amendement de 1994 est étendu en 2002 pour couvrir les infractions liées au terrorisme.
2003
Abdool Raschid Khoyratty est arrêté et accusé de possession de drogues dans le but de les vendre. Sa demande de libération sous caution est rejetée sur la base du paragraphe 5(3A) de la Constitution et de l’article 32 de la DDA. La Cour suprême de Maurice examine la constitutionnalité de ces deux clauses, les déclarant anticonstitutionnelles car elles violent les principes de la séparation des pouvoirs et de la protection contre les traitements inhumains ou dégradants.
2006
Le Conseil privé confirme la décision de la Cour suprême dans l’affaire The State v. Khoyratty, déclarant l’amendement constitutionnel de 1994 et le paragraphe relevant de la DDA anticonstitutionnels.
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