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Demandeurs d’asile sri lankais à Diego Garcia

Une crise humanitaire à l’ombre des intérêts géopolitiques

31 août 2024, 20:00

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Une crise humanitaire à l’ombre des intérêts géopolitiques

• Une audience de quatre jours tenue par la Cour suprême du BIOT à partir du 16 septembre

La récente décision de la cour d’appel du British Indian Ocean Territory (BIOT) représente un tournant majeur pour les 64 demandeurs d’asile sri lankais, bloqués depuis plus de deux ans sur l’île de Diego Garcia. Bien que sous souveraineté britannique, cette île est louée aux États-Unis pour des installations militaires, créant une situation complexe où les droits humains semblent souvent piétinés au profit d’intérêts stratégiques. Après plus de deux ans d’incertitude et de conditions de vie insupportables, ces réfugiés ont enfin obtenu une certaine liberté, bien que sous des restrictions sévères. Cependant, leur sort reste précaire, avec une audience cruciale prévue devant la Cour suprême du BIOT le 16 septembre, une date qui pourrait sceller leur avenir.

Ces demandeurs d’asile sont arrivés clandestinement à Diego Garcia après avoir tenté de rejoindre le Canada par bateau. Depuis leur interception par les autorités britanniques, ils vivent dans des conditions déplorables, confinés dans un camp de tentes d’une superficie équivalente à un terrain de football. Le camp est infesté de rats et les infrastructures sont rudimentaires, contrastant fortement avec la base militaire américaine située à proximité, où les militaires jouissent d’un confort semblable à celui d’une petite ville américaine. Les réfugiés ont été coupés du monde extérieur pendant un mois entier, sans aucune possibilité de communication, ce qui n’a fait qu’aggraver leur désespoir. Ce camp est devenu un véritable enfer pour ces personnes, dont les droits humains sont constamment bafoués. Après un mois, elles ont eu contact avec des avocats britanniques, notamment de la firme Duncan Lewis Solicitors, et elles ont pu faire valoir leurs droits. Matrix Chambers, Leigh Day Solicitors et Wilson Chambers sont aussi engagés dans cette bataille légale pour défendre ces demandeurs d’asile. La bataille pour obtenir une aide juridique de l’État britannique a été ardue, mais elle a finalement permis aux réfugiés de bénéficier d’une représentation légale, un droit fondamental qu’ils ont dû défendre devant les tribunaux. Ils ont droit à un appel par jour pour parler à leurs représentants légaux. Les avocats doivent au préalable obtenir la permission de l’administration. Actuellement, plusieurs des réfugiés souffrent de problèmes de santé majeurs, n’ayant pas reçu de soins médicaux à temps, et ils n’arrivent même pas à se déplacer.

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La mauvaise qualité de la nourriture, parfois recouverte de moisissures, rende leur quotidien encore plus difficile dans des conditions déjà précaires.

Une audience décisive et une potentielle solution

La décision de la Cour suprême du BIOT, confirmée par la cour d’appel, a accordé la libération sous caution aux demandeurs d’asile, leur permettant de quitter le camp pour la première fois en 32 mois. Ils peuvent désormais se déplacer sur l’île selon un itinéraire strictement encadré, avec la possibilité d’accéder aux plages ou de marcher le long de la base militaire américaine. L’audience prévue le 16 septembre devant la Cour suprême du BIOT revêt une importance capitale pour eux. Elle pourrait enfin apporter une solution à leur situation désespérée. En attendant, le commissaire du BIOT a formulé une demande pour que ces réfugiés soient transférés en Angleterre, où ils pourraient défendre leur cause de manière plus efficace. Cette demande a été transmise par David Lammy, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, du Commonwealth et du développement, à Yvette Cooper, secrétaire d’État de l’Intérieur. Une décision du gouvernement britannique est attendue depuis un mois et elle pourrait mettre un terme à la vie de calvaire que mènent ces réfugiés depuis plus de deux ans.

«Military dictatorship»

En parallèle, l’influence américaine sur Diego Garcia est flagrante. La récente interdiction par les autorités américaines de l’accès à certaines zones de l’île aux équipes juridiques et au juge de la Cour suprême du BIOT en est un exemple criant. Quelques heures avant leur départ, les Américains ont refusé de permettre l’embarquement sur des vols militaires américains, entraînant l’annulation de la visite. Cette décision, communiquée par le commissaire adjoint du BIOT, Nishi Dholakia, illustre bien la domination des États-Unis sur ce territoire. Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’une «military dictatorship» déguisée, où les États-Unis tirent les ficelles en coulisses, reléguant les autorités britanniques à un rôle secondaire. Cette affaire a également des implications diplomatiques pour Maurice, qui affirme sa souveraineté sur l’archipel des Chagos, dont Diego Garcia fait partie. La situation illustre également la manière dont les droits humains sont bafoués dans le cadre de considérations géopolitiques.

Abus sexuels sur les enfants

La situation des demandeurs d’asile sur l’île a pris une autre tournure préoccupante, incluant 16 enfants, jeunes et adolescents parmi les personnes concernées. Des cas d’abus sexuels sur des enfants ont été signalés. Les avocats chargés de la défense des droits de ces enfants ont tout mis en oeuvre pour assurer que leurs droits soient respectés, conformément aux principes fondamentaux des droits de l’enfant. Face à cette situation, la cour a ordonné l’intervention d’un travailleur social pour évaluer les conditions de vie dans le camp. L’enquête menée a révélé que l’environnement du camp était extrêmement dangereux pour ces enfants et adolescents, les auteurs des abus étant en effet d’autres demandeurs d’asile. Les familles, vivant dans une promiscuité inquiétante, ne parviennent plus à protéger leurs enfants. Les résultats de cette évaluation ont conduit à l’engagement de procédures criminelles contre les auteurs présumés des abus, menées par des cabinets d’avocats impliqués dans cette affaire. Ces enfants, malgré ces abus signalés, vivent toujours entourés de détracteurs dans le camp.

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En liberté conditionnelle, les réfugiés peuvent, pour la première fois après 32 mois, se déplacer mais l’itinéraire est strictement contrôlé. Leur lutte pour la dignité et la justice reflète un appel urgent à l'humanité et à la solidarité.


Les défis d’une mission légale

La visite prévue pour le 17 juillet 2024 a été annulée et reprogrammée au 16 septembre 2024. Une session de travail intense s’est tenue jeudi, impliquant les avocats des cabinets Matrix Chambers et Duncan Lewis Solicitors. Cette réunion visait à préparer les détails logistiques et stratégiques de la mission à venir. L’équipe légale se rendra à Colombo, au Sri Lanka, où elle sera ensuite transportée par un vol affrété par le gouvernement britannique vers une destination particulièrement sensible : l’île de Diego Garcia où sont actuellement détenus des réfugiés. Ce déplacement, entouré de nombreuses complications diplomatiques, a néanmoins vu une avancée significative, les autorités américaines ayant finalement accepté de fournir de la nourriture à l’équipe sur place. Dès leur arrivée sur l’île, prévue pour le premier jour, l’équipe légale effectuera une visite complète, incluant un tour de l’île ainsi qu’une inspection du camp où sont retenus les réfugiés. Les jours suivants seront consacrés aux interrogatoires et contre-interrogatoires des personnes concernées par cette affaire délicate. Cependant, à ce jour, l’équipe légale n’a toujours pas été informée du lieu exact où se déroulera cette audience cruciale. Ce flou est en grande partie dû à un manque de coordination entre les autorités britanniques, qui ne disposent pas des infrastructures nécessaires pour accueillir une telle audience, et les autorités américaines, dont le rôle dans cette affaire reste central. À noter que la presse anglaise, notamment la BBC, a obtenu un ordre de la cour pour pouvoir accompagner l’équipe légale lors de cette visite.

Gina Skandari, «Public Law Solicitor» à Duncan Lewis Solicitors: «The Commissioner of BIOT has failed to find a long-term human solution»

Dans une déclaration en exclusivité à l’express, la firme légale qui s’occupe du cas des demandeurs d’asile aux côtés de Matrix Chambers et de Leigh Day Solicitors s’exprime sur cette affaire. «The delays in processing our clients’ asylum claims have been egregious. The Commissioner of the British Indian Ocean Territory has thus far failed to find a humane long-term solution; no safe country has as yet agreed to take these vulnerable men, women and children. Our clients have been detained in an encampment the size of a football pitch called Thunder Cove for two years. Several legal challenges have been brought on their behalf, including a challenge to their unlawful detention. In a report that followed a monitoring visit, the United Nations Commissioner for Refugees (UNHCR) confirmed that our clients were subject to mandatory and indefinite deprivation of their liberty. The UNHCR highlighted their concerns about high levels of mental health issues and contemplation of suicidality amongst the cohort of asylum seekers – including of children. The Commissioner himself stated in a letter to a UK minister that the camp was in crisis and communicated a significant safeguarding risk in relation to the children following an incident on the camp. It was his view that there was a significant risk of escalation and he made the recommendation that everyone on Thunder Cove Camp be relocated to the UK. The BIOT Court of Appeal, in a recent judgment dismissing an appeal by the BIOT Administration, stated that ‘the lack of progress in any of the legal remedies available to the Respondents occurs in the extraordinary context of a unanimity of opinion of the Commissioner, the Respondents and the US that all the Respondents should leave Diego Garcia as a matter of urgency’. They continued to record their ‘very serious concern regarding the welfare of all the migrants on Diego Garcia and, in particular, the children’. We cannot overstate how critical the situation has become.»