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Une p’tite histoire de dissolution
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Une p’tite histoire de dissolution
Les présidents ou Premiers ministres qui procèdent à la dissolution prématurée du Parlement ont chacun une bonne raison de le faire. Démocrates, ils font le choix des urnes au lieu d’opter pour un coup d’État. Tant mieux ! Mais la plupart diront qu’ils ont choisi de «redonner la parole au peuple», comme le martèle, ces jours-ci, Emmanuel Macron, qui sacrifie son gouvernement, alors que lui reste au pouvoir jusqu’en 2027, au bout de ses deux mandats consécutifs – la Constitution l’empêche de rempiler pour un troisième mandat malgré le fait qu’il n’aura que 50 ans ! Chez nous, il n’y a pas de limites ; ce qui pourrait donner à certains l’envie de rester au pouvoir jusqu’à la mort.
Macron, qui n’a plus d’avenir politique personnel, n’a pas les coudées franches puisqu’il s’est retrouvé avec une majorité relative, et non absolue, à l’Assemblée nationale. Raison pour laquelle il a choisi de rebattre les cartes malgré le risque que le Rassemblement national se retrouve au gouvernement.
La dernière dissolution en France, avant celle de Macron, a lieu en 1997. Élu en 1995, Jacques Chirac récupère la chambre de 1993, qui s’avère plus balladurienne que chiraquienne. Chirac n’a pas confiance. Il craint de se retrouver dans l’opposition à la fin du mandat. Alors, il dissout et convoque des élections anticipées. S’expliquant à la télévision, Chirac demande aux Français de lui donner davantage de députés afin qu’il puisse appliquer son programme. Mais le peuple ne veut pas lui donner plus de pouvoir. La gauche plurielle sous la houlette de Lionel Jospin remporte les législatives et forme une majorité qui dure cinq ans. La cohabitation est restée dans les esprits comme étant laborieuse et constructive. Jospin avouera par la suite : «Avec Jacques Chirac, nous avons veillé tous deux à ce que la France parle d’une seule voix.» Jospin ajoutera : «J’ai eu le privilège de gouverner la France sous la présidence de Chirac.» Pourrait-on entendre Jordan Bardella dire un jour la même chose sur Emmanuel Macron ?!
En Angleterre, le Premier ministre Rishi Sunak a annoncé la tenue d’élections législatives le 4 juillet, mettant fin à des mois de suspense quant à la date de ce scrutin. «Plus tôt dans la journée, je me suis entretenu avec Sa Majesté le roi pour demander la dissolution du Parlement. Le roi a accédé à cette demande», avait expliqué le dirigeant conservateur de 44 ans. «Au cours des prochaines semaines, je me battrai pour chaque vote», a-t-il insisté. Contrairement au système présidentiel français et à l’opposé de Macron, Sunak va, lui, devoir affronter l’électorat et mener son équipe après la dissolution. «Je gagnerai votre confiance et je vous prouverai que seul un gouvernement conservateur que je dirige ne mettra pas en péril notre stabilité économique durement acquise et pourra restaurer la fierté et la confiance dans notre pays.»
Macron et Sunak ont réactualisé les débats sur la dissolution du Parlement – un outil quelque peu oublié ces derniers temps. À la signature du décret convoquant le corps électoral, la France et l’Angleterre, nos deux anciennes puissances coloniales, ressentaient déjà les effets sur l’ensemble de leur territoire national, «dans les circonscriptions comme dans les chancelleries». Le 16 juin 1946, Charles de Gaulle expliquait que «la rivalité des partis revêt un caractère fondamental, qui met toujours tout en question, et sous lequel s’estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays. Il y a là un fait patent qui tient au tempérament national, aux péripéties de l’histoire et aux ébranlements du présent, mais dont il est indispensable à l’avenir du pays et de la démocratie que nos institutions tiennent compte (...)» L’ancien PM Michel Debré défendait, pour sa part, «l’idée que la dissolution – une longue histoire – permettrait en fin de compte d’‘établir’ un parlementarisme qui, à ses yeux, n’existait pas en France du fait de l’instabilité gouvernementale. Mais c’est bien son utilisation qui a conduit des constitutionnalistes à considérer que le pays vit désormais plutôt dans une sorte de semi-présidentialisme, alors que les actes du chef de l’État nécessitent le contreseing de Matignon».
Aux États-Unis, le Parlement vote seul la loi et la loi s’impose à tous, y compris au président qui, hormis un véto temporaire, ne peut que s’incliner puisqu’il ne dispose pas du droit de dissolution et ne peut en appeler au peuple, explique un prof de droit public.
À Maurice, tel un monarque, Pravind Jugnauth détient tous les droits. Il hésite forcément puisqu’il est à la fois responsable du Parlement, du pays, de la dissolution du Parlement et, partant, de la date des prochaines législatives, de sa réélection et de la survie de son partie et de sa dynastie. Beaucoup de chapeaux sur une seule tête.
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Le dévoilement de la statue de SAJ sur le front de mer agite la Toile et alimente les conversations dans la rue. Sa proximité avec celle de SSR alimente davantage les débats alors que le PTr tente d’arracher le pouvoir des mains du MSM.
SAJ et SSR sont les deux géants de la vie politique mauricienne, et il n’y a pas lieu de créer une rivalité entre eux alors qu’ils se côtoient, debout, à l’entrée de la capitale, et, côte à côte, au Jardin de Pamplemousses. Le «père» de la nation et celui du «miracle» économique ne doivent pas être récupérés à des fins électoralistes.
Le discours de SAJ en 1982 quand il remplace SSR a marqué les esprits. Porté par le premier 60-0 de l’histoire, il annonçait la fin du communalisme et la naissance du mauricianisme, «enn sel lepep, enn sel nation». Le peuple y croyait. Mais en 1995, quand SAJ mord la poussière, le communalisme n’avait pas reculé. Au contraire, les «démons» dansaient de plus belle – et dansent toujours.
Comme chaque personne, SAJ a sa part d’ombre et sa part de lumière. Les historiens commencent à peine à jeter un regard froid sur les années décisives de SAJ, durant lesquelles il n’hésitait pas à «couper les doigts». Ou encore sur la passation de pouvoir, en janvier 2017, entre SAJ et son fils, l’actuel PM, en pleine législature. On avait fini par croire que SAJ était immortel, tant il a tenu longtemps, dans plusieurs rôles. Ce n’est pas tant son statut d’ancien PM, ou d’ex-président de la République, ou encore celui de ministre mentor, qui lui conférait une telle illusion que son verbe caustique, et sa passion pour le football et Rodrigues, à qui il a donné l’autonomie.
Les hommages vont pleuvoir devant sa statue. Mais les héritiers politiques de SAJ et de SSR seront bien plus nombreux qu’on pourrait l’imaginer. Ils sont complémentaires.
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