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Bras de fer commissaire de police – Directeur des poursuites publiques

Uniformes bleus vs robes noires: Les dessous du conflit

24 mars 2024, 21:00

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Uniformes bleus vs robes noires: Les dessous du conflit

L’affaire qui oppose le commissaire de police (CP) Anil Kumar Dip au Directeur des poursuites publiques (DPP), Me Rashid Ahmine, est devenue un point de friction majeur dans le paysage judiciaire et politique du pays, mettant en lumière les tensions institutionnelles et les questions de pouvoirs et d’autorité dans l’exercice de la justice. La décision du DPP de demander une révision judiciaire de la grâce présidentielle accordée au fils du CP, Chandra Prakashsing Dip, a-t-elle tout déclencher ? Se sont ensuivies les décisions contestées du DPP dans l’affaire Laurette, du couple Singh et Akil Bissesur, ainsi que de Chavan Dabeedin. D’ailleurs, ce sont ces cas qui ont été mis en avant par le CP pour justifier sa demande devant la Cour suprême, dans le cadre d’une déclaration sur le fait que le DPP a outrepassé ses pouvoirs. Retour sur ces dossiers et cas qui ont déclenché ce bras de fer pas comme les autres… n

Dip junior

Pendant plusieurs années, Chandra Prakashsing Dip – le fils du CP – est resté dans l’ombre après son arrestation dans l’affaire d’un détournement de fonds de plus de Rs 3 millions au préjudice de la Barclays Bank (NdlR, aujourd’hui ABSA) jusqu’à ce qu’il soit «gracieusement» gracié en décembre par le président de la République. Puis, le 2 février 2023, le DPP, qui voulait sans doute aussi, comme tout le monde, comprendre les raisons qui ont motivé cette décision, a déposé une demande de révision judiciaire de la décision de la Commission de pourvoi en grâce. Par la suite en janvier, des charges formelles sont déposées contre «Dip junior» et ses autres acolytes pour une présumée fraude de Rs 80 millions au détriment de l’ex-Bramer Bank. D’ailleurs, l’affaire n’a toujours pas été examinée. En attendant, dans une décision rendue le 28 février, les juges Iqbal Maghooa et Pravin Harrah ont rejeté la demande du DPP en concluant que «la Commission est maîtresse de sa propre procédure. Il n’appartient pas à la cour de diriger la Commission sur la prérogative de clémence quant à la manière dont la prérogative doit être exercée».

Bruneau Laurette

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Anil Kumar Dip a-t-il pris la contestation du DPP de la décision de la Commission de pourvoi en grâce comme un casus belli (NdlR, locution latine, signifiant littéralement «cas de guerre») pour dire que le DPP avait outrepassé ses prérogatives constitutionnelles ? En février 2023, le CP attaque pour la première fois en contestant le ruling du tribunal de Moka, qui avait accordé la liberté conditionnelle à l’activiste politique Bruneau Laurette. Le CP Dip argue dans son affidavit qu’il a lui aussi le pouvoir d’instituer des procédures pénales lorsque l’affaire est à un stade préliminaire. Anil Kumar Dip se demande si cette décision du DPP n’est pas en train de créer un «evil precedent». Des termes qui en ont surpris plus d’un, car le jugement a été émis par la cour de district et de ce fait, ne crée aucun précédent. En prétextant un abus constitutionnel et le besoin de protéger le pays contre les trafiquants de drogue, le CP n’aurait-il pas fait d’une pierre deux coups ? D’autant que ce n’est pas la première fois que le bureau du DPP décide de ne pas faire appel d’un bail ruling dans une affaire de trafic de drogue. On pense notamment au récidiviste Vishal Shibchurn, qui était déjà en liberté conditionnelle quand il avait été arrêté pour un autre délit de drogue ; il a quand même bénéficié de la liberté conditionnelle à plusieurs reprises et le DPP n’a pas fait appel... Il y a eu bien d’autres cas dans le passé. De plus, l’argument du CP pour contester la libération de Bruneau Laurette, selon lequel le DPP doit se plier à ses ‘ordres’ en tant que représentant de la défense et non en tant que procureur, semble être bien plus qu’une préoccupation d’ordre constitutionnel, non ?

Singh, Bissessur et Dabeedin

photo.jpg (Sherry Singh, Akil Bissessur et Chavan Dabeedin.)

En juillet 2023, Dip senior demande à la Cour suprême de déclarer, entre autres, que le DPP et ceux agissant sous son autorité ont usurpé les pouvoirs du CP en vertu de l’article 71 de la Constitution, notamment en ce qui concerne les questions liées aux enquêtes de police. Le CP évoque dans sa plainte les cas des frères Akil et Avinash Bissessur, de Doomila Devi Moheeputh, de l’activiste Bruneau Laurette, de l’ancien CEO de Mauritius Telecom, Sherry Singh, et de Chavan Dabeedin. Le CP demande également à l’instance de délimiter sa fonction par rapport à celle du DPP concernant les enquêtes de police en cours. Il faut souligner qu’en même temps, le CP a déposé des demandes de révisions judiciaires de ces décisions devant la Cour suprême, qui ne les a toujours pas examinées.

Répresentation légale du CP

La querelle s’est envenimée autour de la question de savoir si le DPP agissait comme un conseil représentant l’État (representing counsel) ou comme un poursuivant judiciaire (prosecuting counsel) ; le CP Dip insinuant que le DPP devrait suivre les directives de la police dans les affaires en cours d’investigation. La situation a été compliquée par la tentative du CP d’engager des avocats privés pour le représenter dans certaines affaires pénales, une démarche qui a été rejetée par la justice, qui stipule que c’est au DPP de conduire les poursuites, conformément à l’article 72 de la Constitution. Cette décision souligne la prérogative du DPP en matière de conduite des poursuites pénales, mettant en évidence les limites de l’intervention de la police dans le processus judiciaire après l’initiation des poursuites. À une semaine des débats sur la plainte constitutionnelle déposée par le CP, la police se retrouve cette fois au centre de l’attention avec des allégations de malversations dans des affaires liées aux contraventions annulées par le bureau du DPP. Cette situation annonce une nouvelle tension et une possible confrontation à venir…

FCC

Au final, ce bras de fer entre le CP et le DPP dépasse largement les cas individuels et touche aux fondements mêmes de l’exercice de la justice et de l’application de la loi dans un État de droit. La résolution de ce conflit, quelle qu’elle soit, marquera sans doute un tournant dans la jurisprudence du pays et dans la compréhension des pouvoirs constitutionnels attribués à chacune de ces hautes fonctions. Entre-temps, le DPP défend également ses pouvoirs vis-à-vis de la création de la Financial Crimes Commission (FCC) dans une plainte constitutionnelle déposée mardi, arguant fermement qu’ «un principe fondamental de notre État démocratique, tel qu’énoncé à l’article 1 de la Constitution, est que l’administration de la justice pénale, y compris le pouvoir et le processus de poursuite, soit isolée de l’influence politique»…