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Droits de l'homme: triste sort pour les réfugiés congolais

20 janvier 2019, 19:30

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Droits de l'homme: triste sort  pour les réfugiés congolais

Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être à première vue. La douzaine de Congolais arrêtés l’an dernier pour possession de faux papiers, ne sont pas des arnaqueurs mais des réfugiés politiques. Une solide chaîne de solidarité s’est constituée autour d’eux.

Lorsqu’on débarque dans le centre de Caritas Ile Maurice, qui, à la demande du haut-commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCNUR), héberge les 11 Congolais depuis leur libération sous caution durant la première semaine de janvier (le douzième a choisi de quitter Maurice) -, ces hommes et ces femmes, presque tous originaires de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), ont l’air désorientés.

Certains restent dans leur dortoir alors que quelques autres prennent l’air. Deux Congolaises utilisent la balançoire et cette simple activité déclenche chez elles des fous rires. Mais dès qu’elles aperçoivent un visage inconnu,  elles se refrognent et se ferment comme des huîtres. La méfiance est de mise.

Patricia Adèle-Félicité a une formation sur la problématique des migrants et les droits de l'Homme.

Les seuls à avoir droit à des sourires de franche camaraderie et à des accolades sont Patricia Adèle-Félicité, secrétaire générale de Caritas Ile Maurice et l’avocat José Moirt. Ce dernier a accepté de défendre ces Congolais à la demande du Cardinal Maurice Piat, évêque de Port-Louis, après qu’il ait reçu un courrier de leur part. L’avocat ne s’est pas fait prier et le fait gratuitement. Dans un des bureaux du rez-de-chaussée, Ilija Todorovic, Senior Regional Resettlement Officer du HCNUR, mène des interviews individuelles. Certaines Congolais en sortent les yeux rougis.   

Comme le souligne José Moirt, ces 11 Congolais ont peut-être été arrêtés en possession de faux papiers mais ce ne sont pas des criminels. «Peu importe ce qu’ils ont pu faire pour fuir leur pays. Pour sauver sa vie, n’importe quel être humain ferait n’importe quoi».

Sans vouloir trop en dire pour ne pas briser la confidentialité et mettre leur vie en péril, José Moirt raconte que l’un d’eux est fils d’un député de l’opposition porté disparu et sans doute assassiné. Un autre est enfant de fonctionnaire qui a été tué. Parmi eux, il y a un ingénieur, un étudiant, un cuisinier. Tous ne sont pas de la même ethnie. Une des femmes vient de la province du Kivu, secouée depuis des années par des conflits entre armée et milice. Certaines d’entre elles ont été victimes de viol collectif appliqué comme arme de guerre.

Sur les sept femmes, cinq sont des mères de famille qui ont dû abandonner leurs enfants derrière elles pour sauver leur vie. Chez les hommes, deux sont des papas qui ont dû faire de même. Leurs enfants ont été confiés aux grands-parents ou à des proches. Presque tous ont subi la torture. «Le HCNUR ne tient pas compte du délit commis pour juger leurs cas.»

Me Moirt souligne que bien que Maurice ne soit pas signataire de la Convention relative au statut de réfugiés de 1951, le pays adhère à la Déclaration universelle des droits de l’Homme et à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. L’avocat estime qu’à ce titre, Maurice a des obligations envers les réfugiés en général et ces Congolais en particulier, dont celui de ne pas les refouler vers leur pays d’origine.

Ce qui a rendu leur situation difficile, estime José Moirt, c’est qu’il n’y a pas de mécanisme défini par l’Etat mauricien pour gérer les cas de réfugiés qui vont, selon lui, sans nulle doute se multiplier à l’avenir par rapport à la situation mondiale. S’il n’était pas intervenu en alertant le HCNUR, les Congolais auraient été renvoyés en RDC. Le 30 octobre dernier, lors d’une de leurs comparutions en Cour, l’avocat a rappelé le principe de non-refoulement vers le pays d’origine. «La Cour ne s’est pas prononcée sur cette question et les Congolais ont été renvoyés à la prison de Beau-Bassin.»

Ce qui choque José Moirt, c’est que le commissaire des prisons a autorisé des membres de la police secrète congolaise, qui se sont présentés aux réfugiés congolais comme des représentants de l’ambassade de la RDC, à entrer à la prison et à les identifier. «Le représentant du commissaire des prisons l’a admis en Cour. Et lorsque le magistrat lui a demandé sous quelle autorité le CP avait admis les ‘visiteurs’ congolais, son représentant a été incapable de répondre. Il est clair qu’il y a eu manquement au niveau de la prison et manque de coordination entre le bureau de l’Attorney General et celui du directeur des poursuites publiques.»

S’ils n’ont pas subi de mauvais traitements à la prison, une prison reste une prison, souligne leur avocat. «On les a mis dans les mêmes quartiers assignés aux étrangers, sans considérer leur nationalité ni la gravité des délits des uns et des autres. Et le 24 décembre, ils ont été impliqués malgré eux dans une bagarre entre détenus étrangers.»  Sachant que les autorités allaient les libérer sous caution, José Moirt l’a fait savoir à la HCNUR à Pretoria en Afrique du Sud et cette instance a sollicité l’aide de Caritas Ile Maurice pour leur offrir le gîte et le couvert. Ce mouvement catholique a même payé leur caution de Rs 2000 par personne et signé une reconnaissance de dette de Rs 10 000 pour chacun d’eux. Ils ont été libérés sous une accusation  autre que celle pour laquelle ils avaient été arrêtés. C’est un fait exprès car autrement, il aurait fallu les refouler vers leur pays. Toutefois, pendant toute la durée de leur séjour sur le sol mauricien, ils devront respecter les conditions rattachées à toute liberté conditionnelle.

Patricia Adèle-Félicité, qui a suivi une formation poussée l’an dernier sur la problématique des migrants et les droits de l’Homme, explique que c’est le pape François qui a donné  le mandat à la confédération Caritas Internationalis et à ses organisations membres d’accompagner les réfugiés et les personnes déplacées. «Le pape François a demandé à Caritas d’accueillir, de protéger, de promouvoir les droits et d’intégrer les réfugiés et les personnes déplacées. Dans le passé, avec l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) de Maurice et notre partenaire du HCNUR, nous avons hébergé des réfugiés à titre individuel en provenance du Cameron, de l’Erythrée et une famille de réfugiés syriens mais jamais nous n’avions eu affaire à un aussi grand groupe de personnes.» 

L'avocat José Moirt représente gratuitement les 11 réfugiés congolais.

Pendant toute la durée de leur séjour dans le centre de Caritas Ile Maurice, explique-t-elle, les Congolais seront encadrés. «Nous leur donnerons de quoi s’occuper et comme il est possible qu’ils soient accueillis dans un pays anglophone, nous leur ferons apprendre l’anglais à travers des cours d’alphabétisation fonctionnelle. Notre rôle est de les préparer à leur nouvelle vie. Pour l’instant, ils sont encore traumatisés et émotionnellement fragiles par rapport à tout ce qu’ils ont subi jusqu’ici.»

A mardi, il ne restait à Ilija Todorovic et à son assistant, le Resettlement Officer Gideon Muchiri, aidés par des interprètes fournis par Caritas Ile Maurice, que deux interviews individuelles à mener. Le HCNUR a suffisamment de contacts sur le terrain pour vérifier la véracité des informations fournies par les réfugiés congolais.

Appelé à définir en quoi consiste un Resettlement programme, Ie Senior Regional Resettlement Officer de la HCNUR déclare qu’en cas de demande d’asile dans les rares pays non signataires de la Convention sur le statut des réfugiés comme Maurice, le HCNUR prend le relais et mène des interviews pour déterminer s’ils sont vraiment des réfugiés. «On les appelle alors des mandate refugees. Après un certain temps, une solution durable doit être trouvée car ces personnes ne peuvent être des réfugiés pour toujours. Il y a trois solutions durables possibles. La première est que si les réfugiés ont de la chance et de solides garanties de sécurité, ils peuvent volontairement vouloir regagner leur pays d’origine. La deuxième option est qu’ils soient acceptés dans le pays où ils ont trouvé refuge. La dernière solution dite de third-country solution est de leur trouver une terre d’accueil. Pour ceux qui ne peuvent regagner leur pays d’origine en raison de l’insécurité, de risques de persécutions et de mort ni rester dans un pays non signataire de la Convention où ils ont trouvé refuge, le HCNUR leur cherche un pays disposé à leur donner un statut de résident permanent et les naturaliser par la suite afin qu’ils puissent commencer une nouvelle vie. Dans le cas présent, le HCNUR agit comme intermédiaire entre le pays hôte qu’est Maurice et le pays d’accueil qui peut être le Canada, l’Australie, la Suède, les Etats-Unis».

Ilija Todorovic, qui est très reconnaissant envers le gouvernement mauricien pour avoir autorisé le HCNUR à venir mener des interviews des 11 Congolais et envers l’Evêque de Port-Louis et Caritas Ile Maurice pour leur aide, est satisfait du déroulement des interviews individuelles, même s’il reconnaît qu’elles prennent du temps. Il avoue avoir déjà contacté quelques-unes de ces terres d’accueil susmentionnées. «Je ne peux rien promettre car une fois qu’un pays prend un dossier en main, il s’occupe de tout. Mais je peux vous dire par expérience, par rapport au dernier cas traité, cela va vite. C’est une question de semaines…»