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Whistleblowers, Leakers et les «Missie Moustass»

30 octobre 2024, 11:02

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Whistleblowers, Leakers et les «Missie Moustass»

Pourquoi nous, journalistes, devons rester prudents face aux fuites sensationnelles? J’en parlais hier avec le député Ehsan Juman, l’une des dernières victimes des Moustass Leaks. D’emblée, nous sommes tombés d’accord qu’il y a plusieurs Missie Moustass dans la nature, chacun ayant un agenda et une stratégie de publication bien précis vis-à-vis du grand public d’une part et vis-à-vis des journalistes de l’autre.

Certes, les journalistes s’appuient souvent sur des lanceurs d’alerte, y compris sur des self-proclaimed swindlers comme Hussein Abdool Rahim, pour révéler des abus et des violations de la loi. Mais à l’ère de la recherche de sensationnel et des fuites soigneusement orchestrées dans le sillage des prochaines législatives, ils courent le risque d’être manipulés par des informations incomplètes ou trompeuses. Pour éviter ce piège, les journalistes doivent traiter les fuites comme des sources brutes, et non comme des récits finalisés, en veillant à garantir la véracité et l’équilibre de leur travail. Ce qui n’est pas toujours facile, surtout lorsque vous avez un commissaire de police qui ne souhaite pas répondre aux questions de la presse.

Le rôle du journaliste exige un niveau de responsabilité que les lanceurs d’alerte ou simples fuites ne partagent pas forcément. Si le lanceur d’alerte court des risques, souvent en s’appuyant sur l’anonymat pour éviter les représailles, il n’a pas les mêmes obligations déontologiques que le journaliste. Ce dernier, engagé dans la défense des droits humains et la consolidation de l’état de droit, doit comprendre cette complexité légale et éthique avant de publier des informations sensibles.

Les lois encadrant la protection des lanceurs d’alerte varient et sont multiples, des secteurs publics aux secteurs privés. Ces protections diffèrent selon le contexte, mais toutes s’accompagnent de limites. Les journalistes doivent donc maîtriser ces cadres juridiques et vérifier avec rigueur les informations obtenues, en croisant les sources. Dans certains cas, une divulgation non autorisée d’informations classifiées peut exposer le lanceur d’alerte, voire le journaliste, à des poursuites judiciaires. Nous avons plusieurs fois fait, sous ce régime ou un autre, l’objet d’enquêtes policières ou de raids des agents secrets aux petites heures du matin…

Une distinction essentielle réside entre la dénonciation et la fuite. Là où le lanceur d’alerte révèle des abus dans l’intérêt public, la fuite peut être motivée par des intérêts personnels – rancunes, incitations financières ou désirs de vengeance. Face à cette ambiguïté, nous devons évaluer les motivations de ces sources, en prenant garde aux éventuels conflits d’intérêts.

Aujourd’hui, les fuites sont parfois minutieusement «packagées» avec des titres sensationnels et des narrations prêtes à capter l’attention. Ce phénomène façonne la perception du public avant que les faits ne soient vérifiés. Face à ces narrations préfabriquées, le ou la journaliste doit redoubler de vigilance, dissociant les faits des interprétations, et considérer ces fuites comme des points de départ pour une enquête plus poussée.

La protection de la source demeure cruciale pour faire notre métier, mais à l’ère numérique, elle s’avère de plus en plus difficile. Protocole de confidentialité, outils de sécurité numérique et applications cryptées sont essentiels pour préserver l’anonymat des lanceurs d’alerte. Informer les sources dès le départ des précautions prises pour protéger leur identité peut renforcer la confiance et la transparence dans cette relation.

Il est fondamental pour le journaliste de rester impartial face aux récits fournis par une seule source, notamment lorsque celle-ci pourrait avoir un intérêt personnel. Un journalisme rigoureux consiste à questionner non seulement le contenu mais aussi la motivation de l’information transmise. Les lanceurs d’alerte, en tant que sources, ne sont pas des éditeurs ; leur perspective ne doit pas façonner le récit final.

Le processus de dénonciation peut également avoir un impact majeur sur la santé mentale des lanceurs d’alerte. Une étude de l’université de Tilburg a révélé que près de la moitié de ceux qui s’expriment publiquement souffrent de niveaux cliniques d’anxiété ou de dépression. Les journalistes doivent tenir compte de cette pression et faire preuve de sensibilité, car une pression excessive pourrait compromettre le bien-être de leur source.

In fine, les fuites et les divulgations de lanceurs d’alerte peuvent bouleverser l’ordre des choses, mais elles exigent d’être traitées avec rigueur et prudence. Pour contribuer à une information publique éclairée, les journalistes doivent accorder la priorité à l’exactitude, l’objectivité et la transparence, en maintenant des standards éthiques (éviter de parler des maladies des patients, ne pas violer la vie privée, éviter les propos séditieux, etc.). Les fuites ne devraient être que des points de départ, pas des récits finalisés… Le cas échéant, Missie Moustass tiendrait tout le monde par la barbichette : le camp gouvernemental, le camp de l’opposition, la presse plurielle et ses journalistes qui commencent à voir un peu plus clair dans ces Leaks de Missie Moustass…