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Questions à...
Yannick Nanette: «Ce qui a fait la différence en Suisse, c’est que je chante en ‘kreol morisien’»
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Yannick Nanette: «Ce qui a fait la différence en Suisse, c’est que je chante en ‘kreol morisien’»
Thierry Jaccard et Yannick Nanette, auteur-compositeur, membre du groupe The Two.
The Two est programmé le jeudi 4 avril à 19 heures à l’Institut français de Maurice. Leur troisième album, «Sadela», arrangé par le producteur David Donatien, est sorti il y a un an, le 19 mars 2023. Joint au téléphone, Yannick Nanette, auteur-compositeur installé en Suisse, partage ses expériences vécues à travers le monde avec le blues en «kreol morisien».
Avec The Two, vous cumulez 800 concerts en Europe, aux États-Unis, au Canada. À Maurice, vous avez partagé une première partie du concert d’Eric Triton en juillet 2023. Qu’est-ce qui explique que vous soyez rare au pays natal ?
Je n’ai pas assez de connaissances du marché musical à Maurice pour y lancer un album. C’est plus facile de canaliser notre énergie dans le réseau français, le réseau francophone au Canada, le réseau espagnol. L’album Sadela, entièrement en kreol, est sorti il y a un an, le 19 mars 2023. Nous cherchons des relais qui correspondent au travail que nous défendons.
Quel bilan un an plus tard ?
On s’est concentré sur La France. Ensuite le Canada. Il faut trouver à chaque fois un tourneur. Pareil en Suisse. Dans The Two (NdlR, duo qu’il forme avec l’auteur-compositeur Thierry Jaccard), nous sommes musiciens et nous gérons nousmême le business.
Tout en ayant un job à plein temps à côté ?
Je suis enseignant au secondaire et à la Haute École Pédagogique du canton de Vaud à Lausanne, dans la filière des arts visuels. C’est l’équivalent du Mauritius Institute of Education pour la formation des enseignants. J’ai obtenu une bourse pour étudier les arts visuels en Suisse. Apre sa inn ramas inpe kas. J’ai poursuivi avec une maîtrise en arts visuels et en éducation. Ce qui me permet d’enseigner du mardi au jeudi. Du vendredi soir au dimanche soir, nous assurons des concerts, en Europe et ailleurs. Nous avons plus ou moins le même emploi du temps. Ce n’est pas facile de courir après les concerts et les cachets.
Mon travail n’est pas un job alimentaire. J’aime beaucoup ce que je fais. C’est un job où il y a la transmission, c’est très cohérent avec ce que nous faisons dans la musique, où nous sommes des passeurs d’émotions.
Vous avez partagé votre blues en kreol aux États-Unis, qui est la terre du blues. Quelles réactions cela a-t-il suscitées ?
Nous avons participé à des Swiss blues challenge. Chaque pays choisit un groupe pour le représenter dans un congrès du blues aux États-Unis. En Suisse, ce qui a fait la différence, c’est que je chante en kreol morisien.
Vous êtes devenu un ambassadeur de la Suisse grâce au kreol morisien ?
Je suis un ambassadeur suisse qui n’en a pas le passeport. Je suis dans ce pays depuis 14 ans, j’ai récemment entamé les démarches administratives. Obtenir un visa pour les ÉtatsUnis, pour participer au congrès de blues, n’a pas été facile non plus. Mon collègue suisse a rempli les formalités en ligne. Moi, j’ai dû faire la queue, payer les frais administratifs et au dernier guichet, on m’a dit non. Pas de visa.
C’est la veille du départ qu’on m’a dit que finalement on avait trouvé un moyen pour que je puisse y aller. Morisien-la li pou ramass problem toutlong so lavi. C’est ça notre force, la résilience. Là où d’autres sont confrontés à un obstacle, nous en surmontons dix.
Pour le Swiss challenge, nous avons présenté Roseda (NdlR, reprise de Ti Frer qui est sur l’album Sadela). J’ai expliqué que dans l’océan Indien, il y a une tradition musicale qui ressemble à celle du blues, avec une histoire commune liée à l’esclavage. Aux États-Unis, c’était les plantations de coton, à Maurice, les champs de canne. Nous avons vécu les mêmes souffrances. On chante pour prier, on chante pour rester soudés, on chante pour s’amuser. L’intention du chant est profondément humaine et existentielle. Le séga, le maloya, c’est du blues. Une fraternité musicale nous unit.
Une fraternité qui s’est manifestée aux États-Unis ?
Des Américains nous ont dit qu’ils n’avaient jamais entendu quelque chose comme ça avant, mais qu’il y avait enn zafer qui résonnait en eux. La moitié du jury américain était en faveur du blues des puristes alors que l’autre partie a trouvé que ça, c’est l’avenir du blues.
Quel camp l’a emporté ?
Nous nous sommes qualifiés pour les demifinales. Là, le jury a estimé que notre blues était trop bâtard.
Cela a fait dévier The Two de la direction musicale choisie ?
Pas du tout. L’histoire était déjà écrite. Nounn ariv dan Lamerik nou. Nous avons chanté Roseda là-bas. Nous avons représenté la Suisse là-bas. C’était déjà gagné. Plusieurs producteurs nous ont remarqués. Des programmateurs européens aussi. Cette nouveauté dans la façon d’aborder le blues les a attirés et on s’est retrouvé à jouer partout en Europe. C’est là qu’on a explosé.
Cela fait trois ans que nous nous produisons régulièrement au Canada. La scène francophone québécoise nous a accueillis. Nous y serons en tournée cet été. L’année prochaine, nous irons du côté anglophone.
L’album Sadela comporte une chanson sur la nostalgie de l’ailleurs. Quand vous êtes là-bas, vous pensez à ici. Est-ce qu’il faut être décalé pour créer ?
L’art, c’est des écarts. Au Canada, après avoir joué le morceau Loin ici, nous avons rencontré beaucoup de Mauriciens. Mo’nn al res kot bannla. Ils nous ont raconté leurs souvenirs.
Nous avions commencé l’écriture de cette chanson avec Michel Ducasse. Le Mauricien est un être en migration. Actuellement, beaucoup de Mauriciens quittent le pays. Être constamment en mouvement, cela fait partie de notre histoire, de la construction identitaire. Mais il ne faut pas oublier les racines. Le problème à Maurice, c’est que quelque part nous sommes orphelins. Je suis heureux quand je reviens à Maurice. J’y retrouve ma famille. Mais arrive le moment où je repense à ma vie en Suisse. Ce tiraillement ne m’empêche pas de vivre, il me permet de créer.
Vous êtes content d’être parti ? Si vous étiez resté à Maurice vous n’auriez pas accompli le parcours qui est le vôtre aujourd’hui ?
Le morceau Mo ale retranscrit non seulement mon itinéraire mais aussi celui de beaucoup de gens. Je me suis retrouvé dans une blues cruise à bord d’un bateau en mer Méditerranée. La première chose qui m’est arrivée quand j’ai posé le pied sur ce bateau : on a voulu saisir mon passeport.
L’équipage était majoritairement sud-africain, mauricien et indonésien. Comme je suis Mauricien, le responsable de l’immigration a voulu saisir mon passeport de peur que je me sauve en Europe. J’ai expliqué que je vis en Suisse et j’ai refusé de leur donner mon passeport. J’ai vu à quel point les Mauriciens triment sur ce bateau. Dan Moris zot pa finn resi gagn enn lavi, zot finn ale.
Le soir du concert sur ce bateau, quand nous avons chanté Roseda, ceux qui travaillaient au bar ont repris «ti la eh oh la li eh» en chœur. C’était frappant de voir ceux qui ont les moyens de se payer cette croisière à côté de ceux qui pe trase.
La chanson Mo ale dit : «Isi pena nanie pou mwa/mo’nn fatige/mo kouler pa pase/mo non napa serye.» Sur ce bateau, il n’y avait plus de barrières communales, tou Morisien ki la. Quand j’ai invité certains à prendre un verre, ils m’ont expliqué qu’ils n’ont pas le droit de se mélanger aux touristes. Ces conditions de vie m’ont inspiré. Pour qu’une catégorie de Mauriciens puisse rattraper le retard qu’elle accuse sur d’autres groupes de citoyens, ce ne sera pas simple.
Ces expériences ont renforcé votre conviction de chanter en kreol morisien ?
La créolité, c’est la chance d’être mélangé, de pouvoir goûter à plein de sources culturelles, à plusieurs façons de penser la vie. Il faut se penser en rhizome, en déplacement. Cela crée des tensions. Personne n’aime se remettre en question, mais c’est une démarche saine et vitale. Si j’avais pu chanter en hindi ou en mandarin je l’aurais fait. Le langage est un atout. À Maurice, tout le monde aurait dû avoir des notions d’hindi, de mandarin, de tamoul etc.…
* The Two blues créole, jeudi 4 avril, 19, Institut Français de Maurice. Places à Rs 300 disponibles dans le rezo Otayo. Gratuit pour les enfants de moins de 12 ans.
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